1920 : la naissance de la Roja et de la « Furie » espagnole
À l’été 1920, l’Espagne envoie sa première équipe nationale de football aux Jeux Olympiques d’Anvers. C’est alors que les prémices de la philosophie de jeu espagnole se mettent en place, la « Furia », qu’on peut résumer de la façon suivante : une manière de jouer énergique et combative. Des joueurs tels que Ricardo Zamora ou Pepe Samitier découvrent à peine le football international. Le 28 août 1920, la sélection espagnole dispute son tout premier match qui se solde par un succès 1-0 face au Danemark avec un but de Patricio Arabolaza. « 1-0 et Ricardo Zamora dans les buts », titre notamment les journaux espagnols en référence à la solidité du portier de l’Espagne. Par la suite, une défaite 3-1 contre la Belgique met fin aux espoirs d’une médaille d’or.
En revanche, la série de trois victoire d’affilée – 2-1 (Suède), 2-0 (Italie) et 3-1 (Pays-Bas) – permet aux Espagnols de décrocher la deuxième place (l’argent). Par ailleurs, le terme « Furia » lui-même vient d’un journaliste néerlandais, Monsieur Hollander, impressionné par la technique espagnole et la hargne de ses joueurs. Ce mot devient la marque d’un style et d’une identité nationale. À leur retour en Espagne, les joueurs sont acclamés comme des héros. À Saint-Sébastien, ils jouent un match d’exhibition en présence du roi Alphonse XIII, qui les félicite personnellement.
1945-1950 : la reconstruction de l’après-guerre
Suite à la guerre civile (1936-1939) – qui paralyse le pays et freine le développement du football – et la Seconde Guerre Mondiale, l’Espagne commence petit à petit à faire évoluer son approche du ballon rond. En 1947, l’équipe nationale peine à trouver son équilibre et voit passer différents entraîneurs. La Furia est impuissante face aux tactiques issues de l’Argentine et du Brésil. Pour moderniser l’équipe, Guillermo Eizaguirre est nommé entraîneur, soutenu par Armando Muñoz Calero, président de la fédération espagnole. Il introduit deux changements majeurs :
- Organisation des entraînements rigoureuse : dès octobre 1947, Eizaguirre instaure des rassemblements réguliers (une à deux fois par mois) incluant entraînements, matchs internes et amicaux contre d’autres équipes.
- Tactique du « WM » : inspiré par les stratégies observées en Italie, en Angleterre et en France, Eizaguirre adapte le système WM à l’Espagne. Il place trois défenseurs à l’arrière et créé un “carré magique” au centre, où les joueurs dits “intérieurs” ont pour rôle de relayer et soutenir les milieux de terrain, assurant à la fois construction du jeu et couverture défensive. Le nom vient de la disposition des joueurs sur le terrain. Si nous regardons la formation de haut, les footballeurs forment les lettres W (attaque) et M (défense).
Il s’agit maintenant d’assimiler les principes de jeu évoqués. Le technicien espagnol cherche à trouver le onze idéal et faire adopter la WM à l’ensemble de son équipe. Les premiers matchs amicaux en 1948 montrent à la fois l’espoir et les difficultés d’adaptation. Les résultats sont irréguliers : victoire 2-0 contre le Portugal, mais des revers contre l’Irlande, la Suisse et l’Italie qui illustrent les limites de cette stratégie pour le moment peu concluante.
Arrive alors Benito Díaz (1949) qui continue dans le sens du WM tout en mettant en place des méthodes d’entraînements innovantes sur le positionnement et la relation entre les lignes du jeu. L’objectif est d’engendrer une forme d’osmose et d’alchimie collective où chaque footballeur joue sa partie d’échec du mieux possible. Le travail de fond porte ses fruits avec des victoires éclatantes contre l’Irlande (4-1) et la France (5-1). Estanislao Basora, Telmo et Piru Gaínza font le bonheur du public espagnol.
La Furia se qualifie pour la Coupe du monde 1950 à la faveur d’une double confrontation historique face au Portugal : victoire 5-1 à Madrid et match nul 2-2 au retour. Durant le Mondial 1950, l’Espagne réalise un premier tour parfait avec trois succès en autant de rencontres : 3-1 (USA), 2-0 (Chili), 1-0 (Angleterre). Opposés à l’Uruguay lors de la phase de poule finale, les Espagnols concèdent un résultat nul 2-2 puis subissent deux défaites : 6-1 contre le Brésil et 3-1 face à la Suède. L’Espagne termine à la quatrième place de la Coupe du monde.
1964 : l’épopée européenne
Durant les années 1960, le surnom de « la Roja » commence à se populariser, en référence à la couleur historique du maillot de l’Espagne : le rouge. Entre 1958 et 1962, la sélection connaît une période d’instabilité et voit des entraîneurs différents défiler sous ses yeux : Manolo Meana, Helenio Herrera, Pedro Escartín, Pablo Hernández Coronado. Pourtant, la Furia peut s’appuyer sur une génération dorée avec Miguel Muñoz, László Kubala, Alfredo Di Stéfano, Luis Suárez ou encore Francisco Gento. Présent au sein de l’encadrement technique depuis 1960, José Villalonga est nommé à la tête de la Roja en 1962. C’est alors en 1964 que le travail de fond paie enfin pour les Espagnols à l’Euro.
En demi-finales du championnat d’Europe, ils font tomber la Hongrie 2-1 avec des réalisations de Jesús María Pereda et d’Amancio. Ensuite, l’Espagne triomphe lors de la finale face à l’Union soviétique sur le même score. Jesús María Pereda marque à nouveau et Marcelino est le deuxième buteur. L’équipe s’appuie sur des piliers comme José Ángel Iribar dans les cages, Juan Carlos, Pachín et José Antonio Zaldúa en défense, Luis Suárez et Amancio au milieu, et l’incontournable attaque menée par Francisco Gento et Luis del Sol. Premier titre européen pour le pays. Par la suite, José Villalonga quitte ses fonctions en 1966.
1980 – 2000 : un titre olympique et des promesses
Au début des années 1980, l’Espagne suscite de grands espoirs. Pays hôte de la Coupe du monde 1982, la Roja se sort d’un groupe abordable (Honduras, Yougoslavie et Irlande du Nord) avant d’échouer lors de la seconde phase à cause d’une défaite 2-1 contre l’Allemagne de l’Ouest et d’un match nul 0-0 face à l’Angleterre. En 1984, durant les qualificatifs à l’Euro, elle inflige un score de 12-1 à Malte. Une rencontre qui fait du bruit en Espagne. Au championnat d’Europe des nations, la Roja atteint la finale après avoir éliminé le Danemark aux tirs au but (1-1, 5-4 t.a.b) en demi-finales. Hélas, elle chute alors face à la France de Michel Platini (2-0). Deux ans plus tard, au Mondial 1986, l’Espagne atteint les huitièmes de finale, où elle écrase le Danemark (5-1) grâce notamment à un quadruplé d’Emilio Butragueño. Mais en quarts de finale, elle est éliminée aux tirs au but par la Belgique (1-1, 5-4 t.a.b).
Puis vient une période plus turbulente. L’Euro 1988 se solde par une élimination au premier tour, et le Mondial 1990 s’achève en huitièmes de finale. Aux Jeux Olympiques de 1992, l’Espagne se balade lors de la phase de groupes avec trois victoires – 4-0 (Colombie), 2-0 (Égypte) et 2-0 (Qatar) – en autant de rencontres. En quarts de finale, elle bat l’Italie 1-0, puis le Ghana en demi-finales (2-0). En finale, les Espagnols vont chercher la médaille d’or face aux Polonais (3-2). Kiko inscrit un doublé et Abelardo marque un but. Pep Guardiola, Luis Enrique, Rafael Bergés Martin, Alfonso, Roberto Solozábal et Paco Soler sont des noms qui ont marqué cette épopée olympique. En 1994, l’Espagne retrouve de l’élan lors de la Coupe du monde : elle domine sa poule, balaye la Suisse (3-0) en huitièmes de finale, mais chute face à l’Italie (1-2) en quarts de finale, dans un match resté célèbre pour le coup de coude de Mauro Tassotti qui fracture le nez de Luis Enrique…
L’Euro 1996 confirme les difficultés de la Roja à franchir un cap. Sortie des poules, elle tombe en quarts de finale face à l’Angleterre, aux tirs au but (0-0, 2-4 t.a.b). Au Mondial 1998, l’échec est brutal : battue d’entrée par le Nigeria (3-2), incapable de battre le Paraguay (0-0), l’Espagne quitte la compétition dès le premier tour malgré une victoire pour l’honneur 6-1 contre la Bulgarie lors du dernier match de poule. À l’Euro 2000, l’Espagne parvient à sortir de son groupe et se qualifie pour les quarts de finale. Mais elle retrouve la France de Zinédine Zidane et s’incline 2-1. Iker Casillas, Santiago Cañizares, Fernando Hierro, Abelardo, Pep Guardiola, Iván Helguera, Alfonso ou encore Raúl sont impuissants face au champion du monde 1998, futur vainqueur de l’Euro 2000.
2008-2012 : le triplé historique
C’est sans aucun doute la période la plus faste et aboutie de l’histoire de la Roja. Arrivé en 2004, Luis Aragonés construit une équipe redoutable collectivement avec un vivier espagnol riche et talentueux : Iker Casillas, Sergio Ramos, Carles Puyol, Raúl Albiol, Joan Capdevila, Álvaro Arbeloa, Marcos Senna, Xabi Alonso, Xavi Hernández, Andrés Iniesta, David Silva, David Villa, Fernando Torres, Cesc Fàbregas, Santi Cazorla… Lors de l’Euro 2008, l’Espagne se sort facilement de son groupe avec trois succès : 4-1 (Russie), 2-1 (Suède), 2-1 (Grèce). En quarts de finale face à l’Italie championne du monde deux ans plus tôt, la Roja l’emporte durant la séance de tirs au but 4-2 après un match nul et vierge 0-0. En demi-finales, les Espagnols retrouvent les Russes et gagnent à nouveau, cette fois-ci 3-0. Opposée à l’Allemagne en finale, l’Espagne glane son deuxième titre européen après 1964, à la faveur d’une victoire 1-0 sur un but de l’inévitable Fernando Torres.
Suite au sacre européen de 2008, c’est Vicente del Bosque qui prend les rênes de la Roja. Víctor Valdés, Gerard Piqué, Jesús Navas, Sergio Busquets, Pedro, Juan Mata, Javi Martínez ou encore Fernando Llorente viennent s’ajouter à un noyau déjà solide. L’Espagne arrive avec des étoiles dans les yeux à la Coupe du monde 2010. Coup de froid d’entrée pour les Espagnols qui subissent une défaite 1-0 contre la Suisse pour leur premier match de poule. Plus le droit à l’erreur. Ils se rattrapent d’abord face à l’Honduras (2-0) puis le Chili (2-1). La qualification est en poche. Lors des huitièmes de finale, l’Espagne fait tomber le Portugal 1-0 grâce à une réalisation de David Villa. Bis repetita en quarts de finale : 1-0 contre le Paraguay avec un but de David Villa. Même score en demi-finales face à l’Allemagne. C’est Carles Puyol qui envoie son pays en finale.
Opposée aux Pays-Bas, la Roja va chercher son premier titre mondial au bout du suspense. Andrés Iniesta libère tout un peuple à la 116e minute durant les prolongations. Un contrôle parfait suivi d’une demi-volée croisée du pied droit qui restera à jamais gravée dans l’histoire de l’équipe d’Espagne. Quatre victoires 1-0 pour la Roja lors des phases finales. Des résultats qui illustrent la domination imposée par l’équipe de Vicente del Bosque qui confisque le ballon à ses adversaires et les asphyxient par la maîtrise technique et le redoublement des passes. Dès la perte de balle, les Espagnols font tout leur possible pour récupérer le cuir le plus rapidement possible grâce à un pressing parfaitement coordonné.
À l’Euro 2012, l’ogre espagnol fait peur à toutes les nations européennes et elles ne s’y trompent pas. Quelques nouvelles têtes apparaissent : Jordi Alba, Juanfran, Álvaro Negredo. La phase de groupes est réussie pour la Roja avec un match nul 1-1 contre l’Italie, et deux victoires : 4-0, Irlande et 1-0, Croatie. En quarts de finale, l’Espagne écarte tranquillement la France 2-0. La demi-finale est plus difficile. Face au Portugal, la rencontre doit se départager par une séance de tirs au but suite à un match nul et vierge 0-0. La Roja ne tremble pas et remporte cet exercice si tendu 4-2. La finale est une toute autre histoire. Celle d’un triomphe.
Les joueurs de Vicente del Bosque retrouvent la Squadra Azzurra. Une partie à sens unique. Le football fin et léché de l’Espagne atteint son paroxysme. David Silva, Jordi Alba, Fernando Torres et Juan Mata sont les quatre buteurs d’une soirée parfaitement réussie. Succès 4-0 de la Roja qui glane un troisième championnat d’Europe. L’équipe espagnole réalise un exploit unique en son genre : gagner trois trophées internationaux d’affilée, l’Euro 2008, la Coupe du monde 2010 et l’Euro 2012. Un chef d’œuvre historique.
2012-2024 : le retour progressif de la Roja au premier plan
Durant la Coupe du monde 2014, la série historique de victoires s’arrête et l’Espagne vit même une grande désillusion : une élimination dès la première phase. Deux défaites face aux Pays-Bas (5-1) et au Chili (2-0) condamnent la Roja qui remporte tout de même son dernier match pour l’honneur 3-0 contre l’Australie. À l’Euro 2016, la sélection espagnole atteint les huitièmes de finale mais s’incline 2-0 face à l’Italie. Idem au Mondial 2018 avec une élimination contre la Russie (1-1, 4-3 t.a.b). La génération dorée s’est effritée au fil du temps.
Mais l’Euro 2020 redonne espoir au peuple hispanique. Unai Simón, José Gayà, Jordi Alba, Pau Torres, Eric García, Aymeric Laporte, César Azpilicueta, Sergio Busquets, Rodri, Fabián Ruiz, Pedri, Koke, Dani Olmo, Álvaro Morata, Ferran Torres, Mikel Oyarzabal composent un effectif qui retrouve fière allure. Sous les ordres de Luis Enrique, l’Espagne passe l’obstacle de la Croatie en huitièmes de finale (5-3) puis se défait de la Suisse au bout du suspense (1-1, 3-1 t.a.b). Hélas, en demi-finales, la Roja perd cette fois-ci la séance de tirs au but contre l’Italie (1-1, 4-2 t.a.b). La finale file sous le nez des Espagnols. Deux ans plus tard, lors de la Coupe du monde 2022, la Roja retombe dans ses travers et chute face au Maroc en huitièmes de finale (0-0, 3-0 t.a.b). Le jeu proposé par l’équipe rouge s’appuie toujours sur la possession de balle mais celle-ci demeure trop stérile et manque de tranchant et de changement de rythme.
C’est alors Luis de la Fuente qui reprend le flambeau de l’Espagne. Il prône un jeu plus direct tout en gardant l’âme de la Roja : la finesse technique. Dès 2023, le travail effectué commence à porter ses fruits durant la Ligue des Nations. En demi-finales, la sélection ibérique écarte l’Italie 2-1 avant de rempoter la finale contre la Croatie (0-0, 5-4 t.a.b). Arrive ensuite l’Euro 2024. La Roja s’appuie sur une nouvelle génération accompagnée de quelques joueurs expérimentés : Unai Simón, Dani Carvajal, Aymeric Laporte, Robin Le Normand, Nacho Fernández, Marc Cucurella, Jesús Navas, Rodri, Mikel Merino, Fabián Ruiz, Pedri, Lamine Yamal, Álvaro Morata, Nico Williams, Dani Olmo, Mikel Oyarzabal… La phase de groupes se déroule sans encombre avec trois succès : 3-0 (Croatie), 1-0 (Italie) et 1-0 (Albanie).
Les huitièmes de finale sont dans cette lignée également : 4-1 (Géorgie). En quarts de finale, l’Espagne vient à bout de l’Allemagne aux prolongations 2-1 à la faveur d’un but de Mikel Merino à la 119e minute de jeu. Puis, elle bat la France sur le même score en demi-finales. Le jeune Lamine Yamal inscrit un but d’anthologie d’une frappe lointaine du pied gauche qui trouve la lucarne. En finale, la Roja conclut son parcours par un nouveau succès 2-1 face à l’Angleterre grâce aux réalisations signées Nico Williams et Mikel Oyarzabal. L’Espagne inscrit son nom pour la quatrième fois sur la Coupe d’Europe et devient ainsi la nation la plus titrée de l’histoire devant l’Allemagne (trois). En parallèle, la même année, la sélection hispanique remporte un deuxième sacre olympique après celui de 1992 en venant à bout de la France en finale 5-3. Fermín López se distingue avec 6 buts marqués en 6 rencontres, dont un doublé contre les Français. 2024 restera une année couronnée de succès pour le football espagnol.
Palmarès de l’équipe d’Espagne
Ligue des Nations (1) : 2023.
Jeux Olympiques (2) : 1992, 2024.
Euro (4) : 1964, 2008, 2012, 2024.
Coupe du monde (1) : 2010.